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MEURTRE SOLAIRE

 

« En ouvrant le coffre à jouets de notre fille de 6 ans, je suis tombée sur une chose que je n’aurais jamais dû voir. Alexandre, elle s’est perdue là-bas. »

— C’est tout ?

—  C’est tout.

Louis raffermit ses doigts contre le plastique transparent du scellé.

— On n’a rien d’autre que cette lettre ?

— Deux cadavres, et un coffre. Ce n’est pas commun, c’est sûr.

Matthieu se dirige vers le corps de la première victime. Elle est allongée en croissant de lune sur le sol au pied d’une statue d’Apollon. Une plaie béante traverse son bassin de part en part. Un coup d’épée, de sabre ou de katana selon la scientifique.

— Et comment ont-ils fait pour s’introduire dans la galerie d’Apollon ? Les portes n’étaient pas verrouillées ?

— La victime travaillait ici. Elle avait les clés sur elle. On a essayé de contacter son mari, mais il est injoignable. Quant à l’autre, on n’a aucune info sur lui.

Louis se rapproche du cadavre de la femme. Elle a les traits tirés, quelques rides, et malgré son visage figé et ses yeux fermés, il devine qu’elle a la quarantaine.

— Elle n’est pas morte dans le pire endroit.

— Matthieu…

Louis dévisage les portraits des anciens Rois, les tableaux de scènes fastes et colorées qui ont forcément été enjolivées. Il se détourne de la première victime et se dirige vers un coffre maintenu sur un chariot posé au sol. Il est strié de dorures et le bois est badigeonné d’un vernis foncé. Le corps d’un homme y est engouffré, à moitié mangé par des dents en acier de quelques centimètres qui maculent les bords du capot et de la carcasse.

Le collègue de la scientifique à l’œuvre sur la scène se lève, appareil photo à la main. Sa tenue blanche lui donne l’allure d’un fantôme amateur de voyeurisme. Il se tourne vers eux et hoche la tête.

— Le capot s’est refermé sur son ventre et son dos. Les dents ont pénétré sa chair sur plusieurs centimètres. Il s’est retrouvé bloqué et s’est vidé de son sang pendant plusieurs minutes. Une mort atroce.

— On le dirait tout droit sorti d’un des jeux vidéo de mon fils, tonne Louis.

— Il porte un costume de soldat de l’antiquité. On a montré les sandales et les cuirasses des mollets à un historien du musée, il n’a pas hésité longtemps. Mais ses protections ne l’ont pas sauvé.

Louis se retourne vers le cadavre de la femme. Elle était morte d’une entaille profonde à l’abdomen, et voilà qu’ils trouvaient à quelques mètres d’elle un homme déguisé en soldat antique. La coïncidence était bien trop évidente.

— Où est son arme ?

— On ne l’a pas retrouvée. Elle est peut-être à l’intérieur du coffre… comme le reste de son corps. Vous êtes arrivés à pic, on s’apprêtait à l’ouvrir maintenant que la scène a été figée.

Bip.

Louis sort son téléphone de sa poche et observe le nom de son correspondant : son commissaire. Il décroche, tout en sachant que l’appel ne va pas lui plaire.

— Commissaire… Non… On fait ce qu’on peut, mais ils vont devoir attendre… Qu’ils nous mettent la pression pour ouvrir, tient ! C’est une vraie boucherie ici ! Ils peuvent bien aller se faire voir, la galerie devra rester fermée… Oui… Reçu.

Louis éteint son téléphone, les mâchoires crispées.

— Qu’est-ce qu’il voulait ? lui demande Matthieu.

— On doit boucler l’enquête et ramener tout ça (il fait un moulinet du poignet sur les deux cadavres) en lieu sûr. Les politiques mettent la pression pour rouvrir le musée.

— Ils ne se font pas chier, eux, râle Matthieu.

Louis se dirige vers l’une des fenêtres. Des foules de touristes s’amassent près des portes bondées. La pyramide est prise d’assaut, et les gyrophares des collègues sur place n’ont pas l’air de les dissuader d’entrer.

— Les empreintes ont été faites ? demande Louis alors qu’il se rapproche du coffre et de ses collègues de la scientifique qui s’apprêtent à extraire le corps.

— On a relevé une centaine d’empreintes un peu partout, près des cadavres, des poignées… On n’avait pas assez de matériel pour toutes les prendre, mais il faudra faire le tri.

— Convoquez tous les profils qui ressortent, même si ce sont des touristes chinois ou américains. On n’écarte aucune piste. Un double meurtre au Louvre, ça n’arrive pas souvent. Les magistrats vont nous suivre à la trace. Il faut fermer toutes les portes.

— Il fait plus que son poids ! grogne l’un des fantômes en blanc.

Un bruit sourd résonne dans la galerie. Le coffre est ouvert, une armature en acier décore la surface intérieure du capot.

— Alors ça…

Louis se penche au-dessus du condamné. Le reste de son corps est intact, mais ses épaules sont enveloppées dans une cape pourpre. Des centaines de morceaux de miroirs sont entassés au fond du coffre. Des taches de sang en maculent les parois internes.

— Moi qui pensais qu’il était mort pour un bibelot de grande valeur, je me suis bien trompé, dit simplement Matthieu. Il n’y a pas d’arme non plus.

Le flash de l’appareil photo de la scientifique résonne plusieurs dizaines de fois. Après plusieurs minutes d’attente, les corps sont déposés dans des blouses noires. Il ne reste plus que les morceaux de miroir à l’intérieur du coffre. Louis fixe les dents d’acier polies, qui reflètent le luxe de la galerie dans laquelle ils se trouvent.

Il n’y a aucun lien entre ces deux cadavres. Et comment diable cet homme a-t-il pu se retrouver coincé à l’intérieur de ce coffre ? Et habillé de cette manière ?

Se sont-ils entretués ? Mais où est l’arme du crime ? Il y a sûrement un troisième protagoniste. Il faudra vérifier chacune des caméras du musée pour s’en assurer. Et une fois l’identité du soldat confirmée, ils pourront peut-être trouver un mobile.

L’enquête prendrait plusieurs mois, c’est certain.

— Il faudrait peut-être appeler cet historien dont tu m’as parlé tout à l’heure.

Matthieu se tient près de lui, un morceau de miroir entre ses doigts gantés.

— Regarde les dorures. Ces miroirs ne viennent pas du magasin du coin ; peut-être même du musée. Je vais demander aux collègues à l’entrée de le convoquer. Avec de la chance, il est toujours dans le musée.

Louis entend le bruit de ses pas s’éloigner.

L’historien plisse ses moustaches tout en étudiant le fragment réfléchissant.

— Mazette ! Ces courbes, ce sens du détail !… Ces dorures sont divines, non, exceptionnelles ! Il n’existe qu’un seul endroit où vous pouvez en trouver de telles.

— Où ça ?

— Dans la galerie des Glaces à Versailles. Quelqu’un s’est sûrement servi dans les miroirs de remplacement, vous n’aurez qu’à les interroger. Quel gâchis !

Louis s’arme de son téléphone et cherche le numéro de Versailles sur Internet. La recherche ne lui prend que quelques instants. Le vibreur sonne, jusqu’à ce qu’une voix féminine lui réponde. Il lui présente sa qualité, l’objet de son appel ; il écarquille les yeux tandis que sa correspondante lui explique la situation. Il griffonne quelques mots sur son application bloc-notes. Matthieu l’observe avec une moue intéressée.

— Alors ?

— Il y a eu un autre meurtre à Versailles, dans la galerie des Glaces. On va s’y rendre sur le champ.

 

***

 

Malgré les embouteillages, le gyrophare leur permet de gagner Versailles en une quarantaine de minutes. Ils exhibent leurs cartes pros pour pouvoir pénétrer dans la cour du château. L’odeur des pneus chauds envahit l’habitacle. L’air est lourd et la climatisation de leur berline ne fonctionne plus.

Il n’y a aucun touriste sur le parking, juste des voitures sérigraphies et banalisées de la police judiciaire. On les emmène jusqu’à la galerie des Glaces, où Louis rencontre le directeur du château. Lorsqu’il lui présente l’un des morceaux de miroir sous scellé, il s’esclaffe :

— C’était l’une de nos plus belles pièces, et aujourd’hui, il n’en reste plus rien ! Où l’avez-vous retrouvé ?

— Au Louvre. Les autres morceaux y sont aussi.

— Au Louvre ? Pourquoi se trouveraient-ils au Louvre ?

Louis lui explique le double meurtre. Le directeur ne lui apprend rien d’autre que ce qu’il sait déjà. Louis décide de prendre congé de lui et pénètre dans la galerie des Glaces. Les lumières chatoyantes du matin réfléchissent en harmonie autour de lui ; il a l’impression d’être emprisonné dans un verre de cristal. Et au milieu de ce monde enchanté, un homme est allongé au sol. Son costume est imbibé de son sang, la flaque s’étend autour de lui comme une ombre.

L’un de leurs collègues s’approche d’eux.

— Mort d’un coup de dague. On ne l’a pas retrouvée, naturellement, puis ça m’étonnerait qu’on trouve quoi que ce soit dans ce château de merde. Je déteste ces affaires. Vous venez d’où vous ? Je ne vous ai jamais vus.

— De Paris, répond sèchement Louis [ils n’ont pas le temps de faire connaissance] tu sais si l’un des miroirs de la galerie a été brisé ?

Le collègue acquiesce.

— Mieux que ça, suivez-moi.

— Impressionnant, hein ? Ce n’était pas répertorié sur les plans du château. J’ai cru que le directeur du site allait faire une attaque quand on lui a montré ça. D’après lui, ça n’a jamais été là avant, mais il faut croire qu’ils sont tous miros ici. Une porte blindée, ça ne passe pas inaperçu.

Louis évite les bris de miroir sur le sol et s’approche de la porte entrouverte. Son acier est aussi foncé que de l’obsidienne.

— Elle ne s’ouvre que de l’intérieur ?

— Bien vu. Ouais, il n’y a pas de poignée. Il faut croire que quelqu’un était enfermé là-dedans depuis quelques jours parce que c’est la seule sortie. Il hausse les épaules. Peut-être qu’il était assez en rogne en sortant pour tuer le vigile. On n’écarte aucune possibilité.

Louis s’approche de l’entrebâillement de la porte.

— On peut entrer ?

— La scientifique a déjà figé la scène… donc ouais. Il n’y a pas de preuves à l’intérieur de toute manière, juste des fresques… Bon, appelez-moi si vous avez besoin d’aide, j’ai des incompétents à gérer.

Le collègue leur fait un signe de la main et s’éloigne à grands pas.

— Je crois qu’il est à bout. Faut dire que tomber sur une telle affaire un samedi matin… dit Mathieu.

— J’entre, répond Louis.

L’intérieur ressemble à un coffre-fort de banque. Le sol et le plafond sont en béton. Les murs, illuminés par des éclairages tamisés, révèlent des fresques anciennes. Louis les parcourt du regard. Il s’agit d’une cité antique.

Ses yeux se fixent sur une silhouette dorée. Une statue de Déesse, et juste à côté, se trouve un temple grec. Il reconnait sans difficulté l’acropole. Quelque chose attire son attention. Le casque de la déesse Athéna brille de mille feux.

Elle m’invite à la toucher.

Louis retient cette pulsion qui gonfle dans ses entrailles. Il détourne le regard et ausculte les autres fresques.

Le doute l’assaille.

Il glisse sa main dans sa poche arrière et en ressort un gant à usage unique. Il l’enfile et s’approche de la fresque. La lumière ne diminue pas, et lorsqu’il appuie sur le casque de la Déesse, il sent comme un électrochoc.

La porte blindée se referme d’un coup derrière lui. Louis panique et frappe le battant à grands coups de poing. L’obscurité n’est pas complète, mais l’empêche de discerner correctement un renfoncement ou la moindre ouverture. Il cherche une poignée, un bouton, quelque chose qui lui permettrait de sortir, en vain.

Soudain, il vacille.

La terre tremble, les fresques de la cité se rapprochent dangereusement, grossissent à vue d’œil. Louis s’écrase par terre alors qu’il est enserré par la peur. Les murs se rapprochent et s’effondrent sur eux-mêmes. Il commence à voir plus précisément les habitations aux toits colorés. Des pierres taillées s’échouent en cascade autour de lui. L’obscurité l’emporte.

Il est emprisonné dans la cité sans moyen de s’échapper.

 

***

 

Louis sent qu’il est allongé sur le sol. Ses paupières sont lourdes, mais il parvint à les ouvrir. Il fait nuit. Face à un lui, un bosquet d’olivier moqueur bruisse sous la brise. Ses poils se hérissent.

Où est-il ?

Il se relève et se frotte les yeux. Ce qu’il voit le comble de terreur. Une cité endormie baignée dans les rayons lunaires. Des lueurs vacillent près de lui dans des braséros. Au loin, il entend des cris et l’agitation de festivités. Louis se relève et observe autour de lui. Il avise des bâtiments à colonnades, des bannières à l’effigie d’Athènes.

Non, ce n’est pas possible.

Il rêve.

C’est un mauvais rêve.

Il se frappe la tête, plusieurs fois, se pince les joues, se mord la langue ; rien n’y fait.

Un rire derrière lui le fige sur place. Un homme et une femme, bras dessus-dessous, marchent le long d’un escalier qui se dirige vers une colline qu’il n’avait pas encore vue.

L’acropole.

Son instinct lui hurle que c’est là qu’il doit aller.

Il n’y a que peu de monde dans les rues. À sa gauche, les murailles du centre d’Athènes le poussent à continuer. Louis sait qu’il doit trouver les escaliers pour s’y rendre. Il parcourt les artères les moins animées, seul, dans son costume qui le fait sûrement passer pour un fou. Plusieurs passants le scrutent en silence.

Il passe devant des Grecs entourés d’étoffes, qui rient et chantent. Leur langage lui est incompréhensible. L’un d’eux, le visage dégarni, le doigt levé, semble en pleine tirade. Finalement, Louis parvient à marcher jusqu’aux escaliers de l’Acropole.

Il aurait aimé grimper les marches deux par deux, mais elles sont trop longues pour ses petites jambes. Il s’étonne de ne voir aucun garde. Les braséros crépitent à son passage. Les flammes révèlent les ombres des arbres secoués par le vent.

Des jeunes femmes descendent les escaliers. Louis entend leurs voix claires ; l’une d’elles chantonne. Elles battent l’air avec des éventails. Leurs silhouettes sont recouvertes par des étoffes de soie colorées qui couvrent leurs pieds. L’une d’elles tient une bougie qui éclaire leurs visages.

Elles passent à côté de lui en le dévisageant. Louis détourne le regard pour ne pas paraître soupçonneux. Se faire repérer par les gardes dans cet accoutrement lui vaudrait assurément d’être interrogé. Quel sort réservent-ils aux étrangers, ici ? Il avale sa salive.

Louis sent une main lui agripper l’épaule. Il s’immobilise, sent sa fin arriver, n’est pas capable de se retourner. Sa tenue contemporaine l’a sûrement trahi.

Il se retourne, les larmes aux yeux et découvre l’une des jeunes femmes. Elle sourit jusqu’aux lèvres. D’un mouvement furtif, elle agrippe sa main et la hisse au niveau de sa poitrine. Louis transpire. Il écarquille les yeux alors qu’elle enfile un bracelet de perles autour de son poignet.

Un instant plus tard, elle a disparu.

Louis s’approche d’un braséro et contemple son cadeau. Les billes polies, d’un bleu clair-obscur, s’animent sous la danse des flammes. Stupeur, étonnement. Il ne sait que dire et décide de poursuivre son chemin.

L’entrée de l’acropole l’oblige à passer sous des colonnades. Ce n’est que lorsqu’il découvre la statue d’Athéna qui toise la ville de toute sa hauteur qu’il comprend pourquoi il n’y a aucun garde ici. La déesse protège la ville tout entière avec sa lance et son bouclier. Louis s’approche de la statue de bronze et remarque un homme allongé à ses pieds.

Il gémit, écarte les bras, implore la déesse.

Il implore la déesse ?

Louis entrouvre la bouche. Il n’y croit pas. Cet homme parle français ! Il s’approche de lui, l’ausculte. Ses cheveux roux étincellent dans la nuit.

— D’où venez-vous ?

L’homme sursaute et lui jette un regard plein de terreur. Il se relève et se met à courir en direction du Parthénon. Louis met une seconde à comprendre avant de se précipiter derrière lui. Il exhale, se dit qu’il aurait dû continuer le sport après être entré dans la police judiciaire. Heureusement, le temple n’est pas loin. Il pénètre dans son atmosphère chaleureuse. L’intérieur est plus éclairé encore que la cité, et des offrandes gisent sur des bancs en pierre. L’homme est accroupi en face d’une autre statue d’Athéna, plus petite encore.

— Je suis de la police. Où sommes-nous ? Que faites-vous ici ?

L’homme ne répond pas tout de suite.

— De la police… comment êtes-vous venu ici ? Avez-vous vu ma femme ?

Louis recule de quelques pas. Peut-être qu’il cache une dague dans ses mains. Lui n’est pas armé ; comme pour le sport, il s’est trop relâché.

— Comment s’appelle votre femme ?

— Si vous êtes entré ici, vous devez forcément le savoir… Ma Julie…

Le prénom de la dame tuée au Louvre. Louis ne croit pas aux coïncidences.

— Elle est à l’hôpital, ment-il, un suspect l’a tailladée avec une épée. Où sommes-nous ?

L’homme se retourne vers lui et lui agrippe la veste. Il a les yeux d’un fou.

— Est-ce qu’elle va s’en sortir ? Dites-le-moi !

Louis lui agrippe les poignets pour le maintenir à distance.

— Oui ! s’esclaffe Louis qui en a déjà marre de devoir lutter contre lui. Il le repousse et lui demande où il se trouve.

— Ce monde est un rêve, et pourtant, il est bien réel. Vous êtes entré dans le coffre, ne me mentez pas… Peut-être même que c’est vous qui avez blessé ma femme ! L’homme tire une dague de son peplos.

— Aller, avouez-le !

— Je suis bien policier. Louis lui montre sa carte.

— C’est un soldat à cape rouge qui l’a blessée. Une entaille dans l’abdomen.

L’homme s’écroule, sa voix s’est brisée. Louis l’observe gémir alors que sa dague tinte sur le sol. Louis s’approche, donne un coup de pied dans l’arme. Elle ricoche contre un mur.

— Comment vous appelez-vous ?

— Alexandre…

— Alexandre, si vous voulez qu’on trouve le meurtrier, vous devez tout m’expliquer. Quel est cet endroit ? Pourquoi a-t-elle amené un coffre rempli de miroirs au Louvre ?

Il renifle, hésite, ses yeux vacillent de gauche à droite.

— C’est le coffre… le portail jusqu’ici. Les miroirs, c’étaient des offrandes à Apollon pour pouvoir revenir dans ce monde.

Des images du corps de sa femme allongée au pied de la statue du dieu lui reviennent en tête. La piste se forme dans son esprit.

— Pourquoi récupérer des miroirs de Versailles ? Pourquoi ?

Louis lui secoue les épaules pour ne pas le perdre.

— Versailles ? Oh, mon amour… Apollon est un dieu jaloux, il lui a demandé de voler l’un de ses rivaux.

— Ses concurrents ?

Louis ne comprend pas.

— Le Roi Soleil ! Apollon est le dieu de la lumière… Comment s’est-elle retrouvée à Versailles ?

— Il y a une pièce là-bas, avec des fresques d’Athènes. J’y suis entré et j’ai été emmené ici. Est-ce que ça vous dit quelque chose ?

L’homme l’observe dans les yeux. Il semble sincèrement perdu.

— Un autre portail… comment est-ce possible ? souffle-t-il.

Louis n’en a aucune idée, mais une question lui brûle les lèvres.

— Que faites-vous ici ? Dans ce monde ?

L’homme ferme la bouche, son regard se perd sur les pavés blancs.

— Nous cherchons notre fille… Elle s’est perdue dans cette cité.

Louis pense à tous les dossiers de disparition inquiétante qu’il a dû gérer ces dernières années.

— Depuis quand a-t-elle disparu ?

— Douze ans.

Louis ne sait pas quoi répondre. Les chances de la retrouver sont inexistantes. L’homme s’approche de lui et se met à pleurer. Louis pose sa main sur ses cheveux roux, lui-même ne sait pas quoi faire.

— Comment repart-on d’ici ? demande-t-il après quelques instants d’une voix vaporeuse.

— Les… dieux… (il renifle) ce sont eux qui décident qui part et qui reste…

— Comment a fait votre femme, Alexandre ?

— Elle était en danger… ils l’ont pourchassée, Athéna l’a sauvée… C’est ma Julie qui a découvert cet endroit… c’est elle qui m’a amené ici, et maintenant…

Il pleure à nouveau.

Louis se demande s’il peut tirer davantage de cet homme brisé. Les réponses se sont déjà assemblées dans son esprit. Sa femme s’est retrouvée dans la chambre forte de la galerie des Glaces. Elle a amassé les miroirs dans son coffre et l’a traîné en chariot jusqu’à la galerie d’Apollon.

Et le soldat alors ?

— Qui la pourchassait ? Comment a-t-il fait pour s’introduire au Louvre ?

— Des espions spartiates… ils croient qu’Athènes leur cache une arme… Un dieu l’a sûrement fait sortir du coffre…

Et il avait tenté de retourner dans son monde, mais le capot s’était refermé sur lui et l’avait condamné à la mort.

Un cliquetis d’armure résonne près des portes. Louis se retourne et découvre des capes pourpres entourant des muscles saillants. Les casques de bronze érigent des crêtes de poils rouges au-dessus de regards noirs.

Les spartiates.

Ils dégainent leur épée. Louis recule de plusieurs pas. Alexandre gémit et s’enfuit. Louis le suit et emprunte une petite porte qui les mène jusqu’au défilé qui longe les murailles de l’acropole. Ils courent l’un après l’autre. Louis entend les assaillants les poursuivre.

Alexandre file jusqu’à un angle de la muraille et s’immobilise. Louis le maudit. Il ne connaît pas cet endroit, malgré douze années passées à chercher sa fille ? Son cœur bat dangereusement dans sa poitrine.

Alexandre se hisse sur les remparts et saute dans le vide. Les assaillants se rapprochent. Louis se hisse lui aussi sur les remparts, avise le jardin baigné par les rayons lunaires en contrebas.

Il se laisse tomber.

Et s’écrase contre le sol. Sa cheville émet un craquement sinistre. Une vive douleur s’empare de sa jambe. Louis se traîne jusqu’à des orangers. Il sent l’odeur des fleurs et la douce amertume de la mort. Ses ennemis se jettent de la falaise derrière lui et atterrissent en roulades.

Il n’a plus aucun moyen de fuir.

Alexandre a disparu. Il l’a abandonné. Louis déambule jusqu’à une fontaine qui semble alimenter le jardin entier. Il s’affale sur la pierre, plonge sa tête dans l’eau.

Il en ressort immédiatement alors que le sel attaque ses lèvres. Les spartiates ne sont qu’à quelques mètres de lui. Il est trop épuisé pour courir, trop blessé pour s’échapper.

Qui aurait pu croire qu’il mourrait ici ?

Bip.

Bip.

Son téléphone sonne. Il le sort, machinalement, alors que les spartiates s’approchent de lui dans des mouvements amples. Des animaux prêts à l’étriper.

Leurs sandales claquent lorsqu’ils se mettent à fuir dans la direction opposée. Louis écarquille les yeux. Ils fuient devant lui comme s’ils ont vu un monstre. Il désactive le réveil qu’il a réglé ce matin ; il est onze heures à Paris.

— Vous auriez pu mourir.

Louis se fige. Son cœur s’arrête. Une voix féminine.

Une silhouette lactescente surgit sur sa gauche. Elle est divine. Ses cheveux roux tombent le long de ses hanches. De longues étoffes bleutées couvrent son corps tout entier comme une deuxième peau. Elle sourit.

— Il vous faut rentrer chez vous. Vous n’avez rien à faire là.

Louis n’ose pas parler. Il est obnubilé par sa beauté. Elle a pris possession de son attention, il est à la merci de chacun de ses mots. La jeune femme approche la main de son épaule et lui caresse la peau. Louis sent une chaleur se diffuser à l’intérieur de son corps.

La douleur à sa cheville disparaît.

Elle s’accole à lui et l’aide à se relever.

— Je vais vous aider à rentrer dans votre monde. En échange, je ne vous demanderai que des morceaux de miroir.

Louis l’observe d’un air étonné. Son visage se dédouble, son corps devient vaporeux.

— Pourquoi ?… demande-t-il d’une voix qu’il ne reconnait même plus.

— Pour me regarder dans la glace. Et fragiliser les rivaux de mon mari par la même occasion. Amenez-moi les miroirs que ma mère a échoué à m’apporter.

Elle s’éloigne de quelques pas, virevolte, puis admire le ciel strié de lignes magenta. Elle détourne le regard vers lui, le fixe avec des yeux blancs irréels.

— Vous n’avez qu’une journée pour me les amener. Auquel cas, j’enverrai des soldats pour vous tuer.

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