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VIBRANCE

— C’est si beau.

— Je n’aurai jamais cru qu’on arriverait jusque-là, répond Juliette en s’asseyant sur l’herbe.

Jules observe ses longs cheveux châtains qui s’emmêlent au-dessus de ses épaules.

— Ce n’est pas dur de gravir cette colline, tu sais. Je t’aurai portée s’il le fallait.

— Mais non.

Elle le frappe sur la cuisse.

— Je parle de nous deux. Le fait qu’on soit allé si loin ensemble, se reprend-elle. Je me souviens encore de ce restaurant où l’on s’est rencontrés la première fois… de ce premier baiser.

— Je m’en souviens aussi.

— Tu mens, réplique-t-elle, tu oublies toujours ces choses-là.

Jules sourit et s’assied à ses côtés.

— Oui, j’ai oublié.

— Et la date, tu l’as oublié, elle aussi ?

— C’était en juin, il faisait chaud.

— Chaud… un 4 janvier ?

Jules se mord la lèvre.

— Je dois confondre alors.

— Tu n’es pas croyable…

Juliette s’écarte d’un mètre. Jules, lui, ne bouge pas. Il observe le ciel et ses rayons orangés qui s’emmêlent en filaments autour d’une immensité indigo. Des nuages pourpres s’arrachent les montagnes au loin.

— Qu’attends-tu pour me rejoindre ? lui demande-t-elle au bout d’une minute de silence.

— Que tu cèdes en premier.

Juliette ne répond pas tout de suite. Jules, lui, entend les grillons striduler dans les buissons alentour.

— Parfois, j’ai l’impression que tu ne m’aimes pas autant que je t’aime.

Il tourne la tête vers elle, ses sourcils se froncent sans son accord.

— Je t’aime à ma façon, voilà tout. Ma preuve d’amour, c’est de t’avoir emmenée ici et d’être à tes côtés.

— Sache, Jules, que je me suis emmenée toute seule. Et j’attends une autre preuve d’amour : que tu me rejoignes et que je sente ta peau contre la mienne.

— Alors, approche si tu l’oses.

— Non !

Sa voix s’est emportée, plus aigüe qu’à l’accoutumée. Juliette se reprend, cette fois-ci en murmurant :

— C’est à toi de venir.

Jules grogne, mais consent à se rapprocher. Il glisse sur l’herbe, et au dernier moment, se jette sur elle pour l’enserrer dans ses bras.

Elle crie. Lui rit.

Ils tombent à la renverse et dégringolent sur un matelas de fleurs qui s’incline sur leur passage. Et ils atterrissent sur un carré d’herbe plat. Leurs visages ne sont plus qu’à un souffle de distance. Les bras de Jules sont tendus, ses mains ancrées contre la terre.

Les yeux de Juliette l’implorent de l’embrasser. Les cernes qu’elle a essayé de camoufler sous son maquillage se révèlent sous la lueur du coucher de soleil. Il glisse un regard vers ses lèvres ourlées dont les pigments s’affolent.

— Et ça, n’est-ce pas une preuve d’amour ? susurre-t-il alors que ses muscles tendus le supplient de se laisser tomber.

Juliette rougit et murmure :

— Tu sais que je n’ai jamais aimé être surprise…

— Et que tu prends beaucoup de plaisir à me dérober le peu de contrôle que tu me laisses. Oui, je sais.

Elle détourne le regard et lui offre sa joue.

— Et qui te dit que je ne vais pas partir, si tu ne me le laisses pas, ce contrôle ?

— Rien. Mais n’est-ce pas ça l’amour, finalement ? L’incertitude.

Jules se relève, ses bras sont en feu. Juliette lève la tête et l’observe avec un regard blessé. Elle reste allongée dans l’herbe alors qu’il marche en direction d’un banc en bois vieilli. Cette colline est réputée pour offrir le plus beau des paysages aux amoureux.

Et Jules n’est pas déçu.

Au loin, les lumières rouges des éoliennes pulsent en harmonie le long des montagnes comme si elles étaient dirigées par un métronome. Elles lui rappellent les propres battements de son cœur.

Juliette finit par le rejoindre et s’installe sur le banc. Sa tête choit sur son épaule.

— Mon amour pour toi, ce n’est pas de l’incertitude. Il est inconditionnel et je t’aime à jamais.

Elle glisse ses doigts entre les siens. Jules sent la froideur de la bague qu’il lui a offerte pour son anniversaire. La pointe du saphir lui pique la peau.

— Ne dis pas des choses comme ça. Personne n’aime à jamais.

Juliette se décroche de leur étreinte. Elle l’observe avec de grands yeux, interloquée.

— Qu’est-ce que tu as ? Depuis qu’on est parti, c’est comme si tu étais devenu mélancolique.

— Je réfléchis. Beaucoup. Je me demande quel sera mon avenir, et le nôtre. Je crois que j’aimerai faire le tour du monde.

— Le tour du monde ? Qu’est-ce qui te prend ? Ça ne va pas, au travail ? Tu sais, les dépressions passagères, ça arrive à n’importe qui.

La bouche de Juliette se distord. Une idée macabre se déroule dans son esprit.

— Ne me dis pas que tu comptes me quitter moi aussi.

— Je songe à toutes les possibilités, lâche-t-il simplement. Mais… de toutes mes options, ce sont celles avec toi que je préfère.

— Alors, emmène-moi. Mais pas trop loin pour commencer, lui dit-elle d’une voix aussi cotonneuse que la brume qui s’installe au-dessus de la ville étendue au pied des montagnes.

— Et où aimerais-tu voyager ? Attends, laisse-moi deviner… Bali ?

— Ce n’est pas parce que j’y vais avec mes amies qu’on est obligés d’y aller, lui répond-elle. Où tu veux, tant que je suis avec toi.

Jules observe une nouvelle fois le ciel. Il réfléchit, se demande si c’est une bonne idée, et au terme d’un instant où il s’est perdu dans ses pensées, décide que finalement, oui, il devrait ne pas le regretter.

— Très bien. Alors, accroche-toi.

Jules entend Juliette s’interloquer, puis claque des doigts. Et alors que les lumières vacillantes des éoliennes se transforment en arcs-en-ciel rougeoyants et que le ciel se voile, la chaleur le prend à la gorge.

— Ju –, où sommes-nous ?

Juliette, assise dans le sable, jette des regards paniqués sur une longue plage cuivrée. Au-delà d’une eau céruléenne, les pans d’une barrière de corail brisent les vagues.

— Je rêve, je suis en plein rêve…

Elle se relève, hoquète et semble prendre conscience de la dureté des rayons du soleil. Jules sait qu’ils viennent d’atterrir sur une île isolée du Pacifique. Ici, il y a plus de requins que d’humains, plus de lianes et de palmiers que d’immeubles grisâtres. Et Juliette semble avoir troqué sa joie pour une folie lancinante ; elle tourne sur elle-même et se tire les joues.

— Ce n’est pas ce que tu voulais ? Je pensais que ça te plairait.

Juliette l’observe avec un regard décomposé. Elle se relève, s’approche et le gifle du plat de la main.

— Non. Ça ne peut pas être réel !

Elle se pince la peau du cou et se mord même l’auriculaire.

— Je ne le crois pas, la magie n’existe pas.

— Il ne s’agit pas de magie. Considère ça comme un vœu, Juliette. Et je pensais qu’il te rendrait heureuse aussi, ne voulais-tu pas qu’on voyage ensemble ?

Jules écarte les bras.

— Nous ne sommes que tous les deux ici.

Elle lui jette un regard terrifié. Son cœur bat la chamade, qui est cet homme qui l’emprisonne sur une île déserte ?

— Pas ici, pas comme ça ! Comment est-ce… (elle suspend sa phrase alors qu’elle considère l’île dans son entièreté) je veux rentrer chez moi, fais-moi partir maintenant Ju – … peu importe ce que tu es.

Jules plisse les yeux et lui saisit les bras. Juliette se débat et s’arrache à son emprise. Elle manque de lui crever un œil avec son doigt et s’éloigne jusqu’à ce que ses pieds foulent le sable mouillé. Une vaguelette s’échoue contre ses pieds. Son visage se distord en trait d’horreur alors que celui de Jules affiche une moue bienveillante.

— Je ne comprends pas, l’instant d’avant, tu me disais vouloir rester avec moi toute la vie, et voilà que tu te mets à me fuir…

— Mais j’ai simplement dit ce que tous les couples se disent dans ces moments-là !

Jules s’écarte et recule d’un pas.

— Tu ne le pensais pas ? demande-t-il alors qu’une douleur cogne contre sa poitrine.

— Si… non… Je le pensais dans l’instant… Mais ça, ça ! (Elle montre l’île et le ciel dénué de nuages) Qui es-tu ? Tu me fais peur.

Juliette plie les jambes et se recroqueville sur elle-même. Elle se met à pleurer. Jules s’approche et passe ses bras autour d’elle.

— Je vais nous faire rentrer.

Juliette renifle et relève le menton vers lui. Elle s’humecte les lèvres et sent le sel des larmes lui piquer la langue.

— S’il te plaît… Si tu m’aimes, fais-le tout de suite… Je veux me coucher… et oublier tout ça…

— Tout ce que tu désires.

Il claque des doigts à nouveau.

Les vagues laissent place à des rideaux diaphanes balayés par le vent. Le ciel est remplacé par des murs nacrés décorés de moulures et de tableaux de la renaissance. La végétation, elle, s’est volatilisée au profit d’un lit à baldaquin aux mille coussins entourés de bougies enflammées.

— Ce n’est pas mon appartement, Jules ! s’écrit Juliette, furieuse.

— C’est un hôtel à Naples. Tu as toujours rêvé d’y aller, non ?

Elle le repousse en lui frappant le buste, puis avance vers l’entrée tout en essuyant ses yeux avec ses avant-bras. Mais malgré la force dont elle use pour s’échapper, la porte est belle est bien fermée. Elle a l’impression d’être prisonnière d’un tortionnaire qui l’observe se débattre. Le regard et le corps immobile de Jules deviennent une pression infinie. Elle veut fuir et pénètre dans la salle de bain à la recherche d’une fenêtre dérobée, mais n’y trouve qu’une douche à l’italienne et des vasques en marbre.

Juliette parcourt une nouvelle fois la pièce tandis que Jules l’observe en silence. Elle s’accoude à la balustrade du balcon. Malgré les années passées à ses côtés, elle ne peut rester une seconde de plus dans cet endroit qui n’existe sûrement pas.

La ville est baignée dans l’obscurité. Seuls les bruits éloignés de klaxons et l’eau qui s’écoule d’une fontaine animent la nuit. La rue, ancienne et pavée, n’est qu’à quelques mètres en contrebas.

Juliette empoigne le montant en fer.

— Non !

Et saute. Le cri de Jules s’évapore derrière elle à mesure qu’elle sent son corps chuter, chuter, et chuter encore… sans jamais qu’il ne touche le sol.

Jules se rue vers le balcon et observe Juliette fondre vers d’infinies ténèbres.

— Je n’ai matérialisé que cette chambre, souffle-t-il alors que sa bien-aimée s’éloigne toujours plus dans le vide.

Il connaît les dangers d’un tel voyage. Il sait qu’ils n’en sortiront pas indemnes.

Et pourtant…

Et pourtant.

Il saute lui aussi dans l’espace décomplexé, où les étoiles filantes côtoient les anneaux de planètes inconnues. Jules se met à tournoyer sur lui-même. Tout est si silencieux, mais à mesure qu’il se rapproche de Juliette, ses cris lui hérissent les poils. Il prend de la vitesse, n’est plus qu’à quelques années-lumière d’elle. Et alors que sa bien-aimée semble ne plus discerner que la peur, elle s’agrippe à lui avant même qu’il ait le temps d’esquisser un geste. Il l’enserre dans ses bras, lui crie que tout va bien se passer même s’il n’y croit pas.

Ils fondent en disharmonie vers la Voie lactée. Les étoiles se distordent à leur approche en deux matelas qui s’ouvrent en un tunnel béant. Il y fait si chaud malgré l’obscurité. Jules les sent glisser vers un espace aussi sombre qu’inconnu.

Et d’un clignement de paupière, le monde reprend vie autour d’eux.

Leurs souvenirs défilent sur la toile de l’univers. Jules reconnaît le restaurant où ils se sont rencontrés, la bougie sous laquelle ils se sont embrassés. Puis lui qui ressort et qui prend le numéro d’une jolie jeune femme blasée. Son regard vacille entre ses yeux et ses lèvres. Juliette, elle, rassure son autre copain au téléphone alors même qu’ils viennent d’échanger un baiser.

Est-ce qu’ils s’aiment vraiment, finalement ?

Les images s’enchaînent. Leur première dispute éclate. L’univers semble s’en émouvoir ; des ondes percutent leurs corps, le vide remue à leur passage. Jules tremble de peur et d’angoisse.

Juliette claque une porte, puis une seconde. Elle s’affale sur son lit, tremblotante. Jules, lui, les yeux rougis, le cœur maltraité, compose le numéro qu’il avait jusque-là gardé secret.

Ils ne se parlent plus pendant des jours.

Quand l’un d’eux pense à pardonner, c’est l’autre qui fait tout pour s’en aller. Ils accumulent les rendez-vous ratés, les tentatives désespérées d’oublier. Leurs nuits ne sont qu’un rappel de la vacuité de leurs âmes blessées. Alors que leurs corps souffrent et se contorsionnent sous les couettes trempées, Jules sent son sang pulser dans son crâne.

Et dans un impérissable songe, ils s’embrassent à nouveau au gré des pulsations d’une étoile naissante qui vrombit à des années-lumière d’eux dans un espace qu’ils ne fouleront plus jamais ensemble.

Juliette sent la chaleur des sentiments l’envelopper tout entière. Ils lui donnent envie de s’abandonner et de ne plus jamais le quitter. Tous ces mots d’amour qu’ils ont partagé lui brûlent la langue.

Et elle manque de s’étouffer quand elle voit Jules embrasser une jolie brune au teint pâle. Cette inconnue est courbée sur lui de tout son poids. Et lui, il l’étreint comme il ne l’a jamais fait avec elle.

Juliette ne l’avait vue que de dos ce soir-là, mais elle croit reconnaître sa silhouette. Jules l’avait longuement observée, cette brune, avant qu’elle ne parte de cette fameuse soirée où ils s’étaient rencontrés.

Il ne l’a jamais quittée, finalement. Peut-être même qu’elle hantait ses pensées et que Juliette, elle, n’était qu’un amusement. Du plaisir passager, finalement, même s’il aura duré des années.

Elle tente de s’échapper, de se soustraire à l’étreinte de cet homme qui l’a trompée. Ce n’est pas comme si elle ne s’en était pas doutée, mais ce n’est pas lui qu’elle veut fuir.

La panique l’enserre.

Ses craintes sont avérées. Le visage encore bouffi par les larmes, l’oreiller constellé de traces de maquillage, la sonnette de son appartement sonne. Jules n’est pas là, Jules vient de partir.

Mais cela ne fait rien, car elle est obsédée par la vengeance et la colère.

Juliette se jette dans les bras de cet homme qui lui apportera le réconfort dont elle a besoin. Elle ferme la porte à clé et en profite pour s’éloigner de la triste réalité.

Le corps nu sous ses draps en coton blanc froissé, elle entend son téléphone vibrer. Ses sourcils tremblent à la lecture de plusieurs messages d’excuses. Quelques minutes plus tard, tout le monde est dehors. Son dos glisse contre la porte froide, le téléphone collé contre sa poitrine. Elle sourit, l’aime à nouveau. Cette fois-ci, c’est son ventre qui papillonne.

Et dans cet espace où ils dérivent entrelacés, Juliette est incapable de se justifier, ni même de s’excuser. Elle sent le regard de Jules braqué sur son être tout entier.

Son souffle s’échappe de ses poumons. Elle atterrit dans un canapé, qui se soulève et bascule en arrière. Elle ne ressent aucune douleur, mais git par terre, le corps de Jules au-dessus du sien. D’une œillade vers le plafond, elle remarque les peintures en acrylique qu’elle s’évertue à peindre durant son temps libre.

Jules se relève et s’essuie le visage avec ses mains. À travers les interstices de ses doigts, elle sent son regard blessé. Elle sait qu’il ne va pas la pardonner alors qu’elle l’a déjà fait.

Elle veut lui crier que ce n’est pas ce qu’il croit, mais si, c’est bien tout ce qu’il croit.

Et pire encore.

— Et tu oses dire que tu m’aimes…

Juliette sent ses larmes monter à nouveau. Une boule se forme dans son ventre en même temps que la peur de le perdre l’envahit. Et la tristesse s’y entremêle.

Mais c’est la rage qui l’emporte.

— Et toi alors ? dit-elle d’une voix brisée. C’était qui, cette fille ? Comment as-tu osé l’embrasser ?

Elle détourne le regard, saisit un coussin molletonné et lui jette au visage. Il s’échoue lamentablement à ses pieds.

— Un passe-temps pour t’oublier ; pour oublier tout ce que tu as fait pour me blesser… Mais tu t’efforces à rester dans ma tête.

— Tu as pris son numéro alors que nous venions de nous embrasser.

Jules rugit.

— Parce que je savais que tu allais me briser !

Juliette l’observe, tremblotante, les jambes repliées. Elle veut lui dire ce qu’elle a sur le cœur, ces quelques mots qui tambourinent à la porte de sa triste vérité.

— Si, je t’aime ! crie-t-elle dans son appartement saccagé. Plus que tout.

Mais Jules n’est qu’à quelques mètres d’elle, et elle a beau crier, elle comprend en relevant la tête vers son visage qu’il n’y croit pas. Alors, elle décide de se livrer toute entière.

— Mais c’est si compliqué… J’ai beaucoup souffert, tu sais. Toutes ces nuits où tu me manquais, ces journées où tu ne me répondais pas. Je n’ai jamais demandé ça, moi.

— Je surmontais nos disputes comme je le pouvais pendant que tu me trompais.

— Et toi alors ?

— Je ne serai jamais allé jusque-là !

— Qui sait ce que tu as bien pu faire ?

Jules sent ses joues s’empourprer, sa colère exploser. Il n’a qu’une seule envie, faire éclater la vérité. Alors, en deux enjambées déterminées, il se retrouve au-dessus de Juliette et lui saisit les deux bras. Elle ne lutte pas, sachant qu’il est bien trop tard pour refuser.

Les aurores boréales sont magnifiques.

Ils se tiennent sur un lac gelé. Jules entend les morceaux de glace gronder autour d’eux. C’est là que Juliette a toujours voulu voyager. Elle tend le cou vers le ciel, tournoie sur elle-même pour observer les entrelacs enneigés. Il sent qu’elle n’en revient pas et souhaite que cet instant dure éternellement. Lui souffre. Son cœur étouffe, il meurt de chaud dans ce désert arctique.

Juliette finit par se retourner vers lui, les cheveux parsemés de cristaux blancs.

— Je t’ai toujours aimée, je te le jure. Pardonne-moi, je t’en supplie.

Jules grimace. Pourra-t-il l’excuser un jour ? Il n’en est pas certain.

— Je ne sais pas. Je ne sais plus.

Elle fond en larme et s’approche de lui. La glace craque en dessous d’eux. Jules observe les stries de blanc se former sous leurs pieds. Il n’est plus sûr de rien, à vrai dire.

Que peut-il bien lui dire ?

Qu’il veut la quitter sur le champ ?

Qu’il est prêt à l’abandonner ici même ?

Sa colère le tente. Il hésite. C’est à peine s’il sent le corps de Juliette lorsqu’elle se colle à lui. Elle a beau l’enserrer prendre dans ses bras, son cœur ne cogne plus dans sa poitrine comme avant. Son esprit est aussi vide que ce paysage. Frappé par la froideur de ce qu’il vient d’apprendre, il ne sait plus à quoi se raccrocher.

Un épais glacier, emprisonné entre deux pans de montagnes dentelées, craque au loin. Des morceaux énormes de glace s’affaissent dans un semblant de tonnerre. Jules le sent au fond de lui, sa décision est prise.

Il est l’heure de rentrer.

L’odeur de son appartement est la même qu’à l’accoutumée, chaude et accueillante. Juliette est toujours dans ses bras. Elle semble si fragile, accolée à lui. Jules a l’impression qu’elle mourra s’ils se séparent à nouveau.

Il sourit, lève le menton de Juliette, et l’embrasse. Ses lèvres sont salées par les larmes, mais à mesure que leur étreinte dure, leur goût sucré l’emporte. Juliette hoquète, semble heureuse, glisse ses mains dans son dos. Jules la fait s’asseoir sur le canapé.

— Qu’est-ce que tu fais ? lui demande-t-elle alors qu’il réunit des affaires sur la table. Elle l’observe naviguer de pièce en pièce, rassembler un dentifrice, un pull, une poêle. C’est là que Jules se demande ce que fait cette poêle ici, puis il se souvient qu’un jour, Juliette a voulu lui prouver qu’elle pouvait faire de belles crêpes avec du matériel approprié.

S’il restait du rhum, il le boirait cul sec.

— Jules, qu’est-ce que tu fais ?

Son regard est affolé, ses lèvres encore entrouvertes comme si elle attendait un nouveau baiser.

— Il faut que tu partes, Juliette.

Elle ne réagit pas tout de suite. C’est un instant qui dure longtemps ; elle immobile sur le canapé, peinant à réaliser ce qu’il vient de lui annoncer, et lui qui parcourt l’appartement sans jamais s’arrêter.

Elle imagine mille scénarios dans sa tête.

Jules, lui, sait lequel il vient de choisir. Il a l’impression de maîtriser son futur, et ça, ça lui fait un bien fou. Ce n’est pas qu’il se venge, c’est qu’après tout ce qu’il a appris, il se dit que ce n’est qu’un juste retour des choses.

Juliette se précipite dans les toilettes. Il l’entend refermer la porte, puis vomir. Plusieurs fois. Lorsqu’elle revient, encore barbouillée, son visage est blême. Il a l’impression qu’elle vient de cracher son âme, qu’elle n’est plus l’ombre de ce qu’elle était.

Elle peut se rassurer, lui aussi n’est plus. Son cœur est meurtri, profondément blessé. La décision qu’il a prise n’est pas facile. Chaque seconde passée lui somme de revenir en arrière.

C’est la bonne chose à faire, tente-t-il de se persuader.

Il se doit d’être fort face à la tempête à venir.

Les heures défilent. Juliette pleure, allongée sur le divan, le visage encastré dans un oreiller. Jules, lui, s’est réfugié dans sa chambre. Il reflue ses larmes même s’il sait que ce n’est que partie remise. Il attend qu’elle s’en aille pour craquer. D’un œil, il observe le tableau posé contre le mur qu’elle lui a offert pour son anniversaire. La seule chose à laquelle il pense, désormais, c’est de quelle manière il va le détruire. À coup de ciseaux, de poêle, de pied ?

Juliette apparaît dans l’entrebâillement de la porte. Son visage est fermé, ses poings aussi. Elle semble plus déterminée que jamais.

— Si je pars, tu ne me reverras plus jamais. Quitte-moi, et c’est terminé.

Jules l’attendait. Il savait que la tendance se renverserait. Son cœur fait des bonds dans sa poitrine, les regrets le submergent. Il veut lui crier de tout arrêter, de tout oublier.

Mais la confiance est rompue. La corde qui les liait s’est effilochée, et ça il se pense incapable de le réparer. Alors, il s’approche d’elle et serre les dents.

— C’est toi qui m’as quitté quand tu m’as trompé.

Il sait qu’elle va nier, que son cerveau ne pourra pas le supporter. Tous deux vont se reprocher de multiples erreurs, se lancer la balle tour à tour pour ne pas avoir à assumer leurs torts partagés.

Mais Jules est incapable de ne pas y penser. Comment pourrait-il oublier ?

C’est de sa faute. Sa colère lui crie qu’il a toujours été là pour elle.

Et alors qu’il observe le visage décomposé de Juliette, c’est son honnêteté qui le submerge.

Non, il n’a pas toujours été là pour elle. Son travail lui prenait beaucoup de temps et ils se disputaient pratiquement chaque soir parce qu’il ne pouvait pas la voir.

Il la délaissait, privilégiant sa carrière nouvellement lancée. Juliette, elle, l’attendait, meurtrie de ne pas pouvoir se sentir aimée.

Au fond, que peut-il bien lui reprocher ?

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