Dans cet article, nous verrons ensemble quelques questions fondamentales qu’il faut se poser afin d’imaginer des guerres crédibles.
1. Qui sont les belligérants ?
Les guerres ne se déclarent pas toutes seules. La première question à se poser lorsque l’on veut faire vivre une guerre à nos lecteurs à travers nos personnages, c’est de se demander : qui affronte qui ?
Le royaume dans lequel évolue notre protagoniste ? Une cité-État hostile et vindicative ? Un empire éternel qui, après avoir établi son joug sur la surface entière du continent, s’attaque maintenant au dernier royaume sur sa liste (et où vit votre héros) ?
Je vous conseille de faire un résumé des forces en présence, des royaumes, des villes et des pays qui sont impliqués dans cette guerre. Néanmoins, il faut aussi adapter le degré de détail que vous devez imaginer : si vous ne faites qu’effleurer quelques royaumes au cours de cette guerre, concentrez-vous sur eux et contentez-vous des généralités sur les autres. Il n’y a pas besoin de faire un arbre généalogique pour un royaume qui sera seulement mentionné deux fois dans le récit (sauf si vous aimez ça, et c’est tout à votre honneur), mais prenez en compte que cela vous prendra un certain temps.
2. Quelle en est la cause ?
Pour déterminer de potentiels belligérants, vous pouvez vous poser une multitude de questions :
– Pourquoi déclarer la guerre à cette cité-État, ce royaume ? Des ressources, du pouvoir, un déclin ?
Toutes ces interrogations vous aideront à déterminer les origines des guerres, les potentiels alliés et ennemis… Toute guerre doit avoir une raison. Et si l’Empereur de votre empire décide de déclarer la guerre à son voisin parce qu’il s’ennuie, je vous conseille de bien l’expliquer.
On peut inventer toute sorte de scénarios, et ce n’est pas une liste exhaustive :
– Un royaume qui s’attaque à un autre pour ses richesses ou pour étendre son territoire
– Un royaume qui s’attaque à un autre après la mort de son souverain (pour profiter de l’instabilité de son gouvernement)
– Un royaume qui s’attaque à un autre à cause d’une trahison ou d’une humiliation
– Un royaume qui s’attaque à un autre après la mort d’un de ses diplomates
– Un royaume qui s’attaque à un autre après que sa religion ait été bafouée, ou pour imposer son culte
– Une coalition de plusieurs cités-États qui s’organisent pour se défendre face à un Roi tyrannique
– Un pays qui en attaque un autre parce qu’il n’a plus de ressource pétrolifère, ou parce qu’il lorgne sur les gisements d’uranium d’un pays moins puissant
– Un royaume qui dont les mines de pierre précieuse se sont taries et qui doit s’approprier de nouvelles ressources tant que sa trésorerie est à flot (c’est un contre-la-montre exaltant, ça !)
Ou, plus simplement à cause :
– d’une tromperie
– d’un meurtre
S’il existe de nombreuses raisons pour déclarer une guerre, il faut aussi prendre en compte le fait que les souverains et le peuple auront des réactions différentes selon comment vous les construisez.
Un Roi peut rester passif face à un royaume qui grignote ses frontières parce qu’il n’a pas encore les troupes nécessaires pour déclarer la guerre officiellement (bien qu’elle ait déjà commencé officieusement), et une Reine peut décider de déclarer la guerre à un autre Reinaume si sa stature a été bafouée, par exemple.
À garder à l’esprit pour vous aider :
Si les belligérants directs s’affrontent, d’autres royaumes et cités peuvent en pâtir, par exemple :
– à cause d’un important mouvement de troupes qui traverse le territoire d’un royaume tampon entre les deux ennemis (parfait pour une embuscade ?)
– une armée spatiale qui s’approche d’une planète pour profiter de son champ magnétique et pouvoir continuer son trajet (ils deviennent vulnérables, et il faut payer pour passer)
– des marchands qui n’arrivent plus à vendre leur soie parce que les royaumes impliqués dépensent la majorité de leur trésorerie dans des armes et des levées de troupes (et un mécontentement grandissant, un début de révolte ?)
– Des villageois qui voient les jeunes de leur famille et de leurs voisins être réquisitionnés pour une guerre qu’ils n’ont jamais demandée
N’hésitez pas à noter toutes les idées qui vous passent par la tête concernant cette guerre :
– qui la déclare ?
– qui sont les acteurs extérieurs qui en pâtiront ?
– qui sont les acteurs qui la rejoindront en cours de route ?
3. Quel sera son impact sur le monde ?
Imaginez deux royaumes puissants sur un continent. S’ils s’affrontent, il y a de grandes chances pour qu’il y ait des répercussions sur d’autres régions moins puissantes, mais toutes aussi vivantes que vos royaumes. Le monde ne s’arrête pas de vivre tandis que vos belligérants s’affrontent, et c’est une donnée à prendre en compte. Il peut y avoir des retardataires dans une guerre…
J’imagine facilement une cité-État refuser une alliance à un royaume, le voir péricliter, et lui demander trois fois la somme qu’il lui proposait initialement pour le sauver (le monde est cruel, n’est-ce pas ?)
Comment le matérialiser dans son récit ?
– Les belligérants peuvent se rencontrer, s’envoyer des émissaires… mais les régions non impliquées également : vous pouvez écrire une scène de rencontre entre deux rois, par exemple.
– Si l’un des royaumes impliqués à de nombreux alliés ou des bannerets, il y a de fortes probabilités (selon leur entente) qu’ils rejoignent leur cause et que la guerre s’étend sur leurs territoires : une réunion stratégique avec tous les vassaux s’impose (en tout cas, ceux qui souhaitent combattre aux côtés de leur seigneur)
– Imaginez des armées de mercenaires, l’un des camps peut-il se permettre d’en louer les services ?
Sur l’économie de votre roman :
Il y aura des pillages, des champs brûlés, des destructions de vaisseaux ou de planète, et rien n’est gratuit. Si un royaume débute le roman avec des caisses à moitié remplies et qu’un autre royaume lui déclare la guerre au milieu du récit, il y a de fortes chances pour qu’elles se vident rapidement.
Les cités marchandes auront du mal à se défaire de leurs cargaisons de pierres précieuses tandis qu’armes, boucliers, acier, fer, bois et tout ce qui sert à l’attaque et à la défense se vendra comme des petits pains. Mais la production étant centrée sur l’effort de guerre, les prix risquent d’augmenter et les plus pauvres de ne plus pouvoir se payer de quoi subvenir à leurs besoins.
Il y a une chose terrible à laquelle vous pouvez penser : Si un royaume est exclu des routes marchandes et qu’il n’est pas en capacité de produire soi-même ses armes (s’il n’a pas la technologie, pas de métaux, ou simplement pas les capacités pour le faire), que pensez-vous qu’il lui arrivera si la guerre s’enlise ?
Il y a beaucoup de facteurs sur lesquels vous pouvez jouer pour diriger la victoire ou la défaite d’un camp, et l’économie en fait partie (en plus d’être cruelle, parce qu’un royaume qui a l’avantage peut être pris au dépourvu et perdre à la fin malgré qu’il lui reste d’énormes quantités de troupes : qui voudrait risquer sa vie pour ne gagner que des clopinettes ? [Une contre-idée : à défaut de pouvoir payer ses troupes, autant publier un décret les autorisant à conserver tout ce qu’ils pillent !]
Sur les flux de marchandise et les flux migratoires
Qui dit guerre, dit également hommes, femmes, enfants (et monstres, dépendants de votre roman) ; mais surtout réfugiés de guerre. Si là encore, la réaction de votre population dépend de leur tempérament (les citoyens de Sparte ne réagiront peut-être pas comme ceux d’Athènes), ainsi que de la volonté de leurs dirigeants, on peut imaginer d’emblée plusieurs scénarios :
– Les habitants peuvent fuir d’eux-mêmes, dépendant de leur statut social ; les riches ayant plus de moyens à disposition que les pauvres, mais ce sont également les dirigeants qui peuvent décider de mettre en sécurité leur population (surtout les spécialistes dont ils ne peuvent se passer, soyons clairs)
– Un souverain peut envoyer directement son peuple au casse-pipe pour protéger son château ou son palais s’il estime sa vie plus importante. Et comment réagiraient-ils, ces habitants, s’ils se retrouvaient obligés de quitter leurs foyers pour se battre comme un ennemi dont ils ne savent peut-être rien ? (Et oui, parce qu’une guerre déclarée pour une chemise tachée n’aura pas le même impact sur eux qu’une guerre déclarée contre un ennemi de longue date)
Pour les flux de marchandises, il faut garder à l’idée qu’elles parcourent votre monde selon vos technologies (qu’utilisent-elles ? Des routes, des vaisseaux, des camions, des tubes supersoniques ? Si une cité marchande déclare la guerre à un grand Empire et que ses caravanes traversent son territoire, il y a fort à parier qu’elles seront mises à sac et leurs richesses volées (ce qui peut faire démarrer un nouveau conflit…).
4. Quand débute le conflit, et combien de temps va-t-il durer ?
– Est-ce qu’il s’agit d’un conflit millénaire dans lequel vous plongerez le lecteur dès le premier chapitre ?
– Est-ce qu’il s’agit d’un conflit qui arrivera en tant que premier élément perturbateur dans votre récit ?
– La guerre sera-t-elle déclarée à la fin de votre premier roman pour instiller plus de tension dans l’esprit du lecteur et lui donner envie de lire la suite ?
– Et quand se finira-t-elle ? En fin du deuxième tome ? Dès le premier ? À la toute fin de votre saga ?
Ce sont des questions auxquelles il faut réfléchir, car elles transforment totalement l’histoire. Là-dessus il n’y a pas de règles : faites ce que vous aimez.
5. Quel impact sur le récit ?
Allez-vous aborder cette guerre avec l’un de vos personnages principaux, ou ne sera-t-elle qu’un conflit d’arrière-plan seulement mentionné de temps en temps ?
Si une guerre se déclare dans votre roman, vous devez réfléchir à votre façon de l’aborder. Du côté du lecteur, une guerre ne se vivra pas de la même manière s’il s’agit de bruits de couloirs que si le protagoniste se bat en première ligne avec une lance face à des cavaliers.
C’est à vous de gérer le niveau de tension de cette guerre sur votre récit :
– Le conflit va-t-il, lentement mais sûrement, se rapprocher de la ville dans laquelle habite votre protagoniste ?
– Le conflit va-t-il prendre de l’ampleur au fil du roman, obligeant votre protagoniste à réagir, ou du moins, des personnages avec lesquels il interagit ?
– Est-ce cette guerre qui va lancer la descente aux enfers du personnage ?
– Ou au contraire, est-ce cette guerre qui va lui permettre de se libérer de tout ce qu’il a enduré jusqu’à maintenant ?
En somme, il vaut réfléchir à l’impact de la guerre sur le récit :
– en est-elle l’élément principal, le moteur de l’intrigue qui justifie la création de votre roman,
– ou simplement l’un des événements qui pousseront la création de nouvelles péripéties pour votre héros ?
– voire une mention dans le premier tome, mais une réalité dans le deuxième !
6. Avez-vous réfléchi sur le point de vue à adopter ?
Quel protagoniste choisir ? Si vous n’en avez qu’un, la réponse est simple, mais lorsque vous évoluez avec plusieurs points de vue, il va falloir penser à ce que vous voulez montrer dans chacun d’eux.
Si l’un de vos protagonistes est éloigné du reste du monde, il pourra ne jamais en entendre parler comme en avoir des échos.
Si l’un de vos protagonistes habite dans l’un des royaumes impliqués, il me semblerait fort étonnant qu’il n’en sache rien (sauf s’il est enfermé dans un cachot, que les gardes ne parlent pas, et qu’aucun des autres détenus n’est au courant)
Si l’un de vos protagonistes habite dans un royaume non impliqué, rien ne dit qu’il pourrait ignorer cette guerre (les informations voyagent rapidement !)
Mais aussi pouvez-vous prendre le point de vue d’un antagoniste et faire observer au lecteur la préparation d’une guerre dont le protagoniste ignore tout ?
7. Quel en sera le résultat ?
Je vous conseille d’y réfléchir en amont, surtout si la guerre est étalée sur plusieurs tomes pour ne pas vous laisser surprendre à la fin (et surtout pour imaginer les nombreux rebondissements du conflit)
C’est plutôt logique, mais je pense qu’il y a une nuance à apporter. Ce n’est pas tant le résultat qui importe le plus — en fait, si, mais il ne faut pas oublier toutes les étapes qui mèneront jusqu’à cette victoire ! La victoire ou la défaite, c’est le fruit de toutes les actions qui ont été entreprises avant. En voilà un exemple :
– Athènes déclare la guerre à Sparte suite à la tromperie de la Reine avec le jeune prince (Troie)
– La réunion entre alliés et Spartes
– La marche vers Athènes
– Une embuscade d’Athènes des troupes de Spartes
– Première défaite de Spartes
– Perte d’une grande parcelle de territoire
– Attaque des alliés à Athènes
– Retrait des troupes athéniennes
– Sparte récupère son territoire et construit des forts le long de sa frontière
– La flotte athénienne coule tous les bateaux de marchandise de Spartes
– Une famine éclate à Sparte.
– Athènes bat les alliés de Spartes et attaque les forteresses sur la frontière spartiate
– Défaite des Athéniens sur 3 forteresses, victoire sur 4 autres
– Progression des Athéniens en ligne vers Spartes
– Prise en étau des spartiates
– Défaite des Athéniens
– Marche des spartiates vers Athènes
– Victoire des Spartiates
Comme vous pouvez le voir, il y a de nombreuses étapes et escalades dans un conflit : défaite sur terre, sur mer, dans les airs, renfort d’alliés, perte de territoire, gain de territoire, nouveaux alliés, nouveaux ennemis…
Tout est possible, mais cela dépend de votre monde. N’oubliez pas les distances qui séparent les royaumes, les zones impraticables comme des chaînes de montagnes ou les marais qui ralentiront la progression d’une armée.
Et surtout, le temps de voyage qui dépend du moyen de transport de l’époque ! Une attaque en dirigeable est plus rapide qu’à cheval.
8. Les effets d’une victoire sur votre monde
Il faut y penser pour ne pas être pris par surprise. Imaginez que votre royaume gagne au bout de nombreuses batailles au milieu du deuxième tome ! (si vous écrivez une trilogie, par exemple)
Quels en seront les effets ?
– La survie du protagoniste, l’annihilation de la menace ennemie (ou d’une menace subalterne, mais pas de LA vraie menace) ? La défaite des méchants contre les gentils, la fin de la fin du monde ?
– Le royaume ou le pays qui vient de gagner sa guerre décide-t-il de continuer sur sa lancée et d’attaquer d’autres régions plus faibles ?
– Est-ce que le camp du protagoniste est dos au mur ? Est-ce qu’il est obligé de s’exiler par bateau sur un nouveau continent pour survivre face aux antagonistes ? Prévoit-il de revenir et de venger ses amis morts ?
– Le royaume gagnant va-t-il imposer un esclavage aux perdants ? Va-t-il procéder à l’exécution des dirigeants qu’il a vaincus (sous les yeux tétanisés de notre protagoniste) ?
– Ou cela signifie tout simplement la fin du roman ? D’une Happy End où le mal a été vaincu, et qui signifie le retour à la normale pour le protagoniste ?
9. Les effets d’une défaite sur le monde
Que se passe-t-il pour votre protagoniste ? Est-il en difficulté ? Son camp a-t-il perdu la guerre ? Quels sont les effets de cette défaite sur le déroulé de votre récit ?
Imaginons que cette défaite intervient à la fin de votre premier tome, quels seront les conséquences immédiates sur le début du deuxième tome et sur son déroulé ? Chaque guerre a des effets à plus ou moins long terme, dépendant de leur gravité :
– Chute d’un pays entier
– Remplacement des souverains à la tête du royaume déchu
– Mise à mort d’une partie de la population (raisons politiques, religieuses ?)
Imaginez un royaume puissant qui dispose des meilleurs soldats du monde (et c’est ce que le monde pense aussi, pas seulement eux !). Et maintenant, imaginez qu’ils perdent.
Comment réagiraient les autres royaumes qui les croyaient autrefois immortels, maintenant que cette croyance a explosé en éclat ?
Imaginez qu’ils disposent d’une ressource que tous les autres royaumes souhaitent s’approprier, mais que ces derniers n’osaient pas l’obtenir par la force de peur d’échouer ?
Sans plus aucune peur de les attaquer, je pense qu’on pourrait voir plusieurs scénarios se profiler :
– Le royaume « invulnérable » baisse ses prix pour maintenir une paix qu’il ne peut plus assurer
– Le royaume « invulnérable » se fait déclarer la guerre par tous ses ennemis. Son hégémonie sur le monde est révolue.
Quelle tristesse ce serait que ce soit la faute d’un unique protagoniste qui, mué par un courage sans faille, soit parvenu à détruire l’arme qui protégeait un royaume immortel (non, ce serait génial !). Et peut-être même qu’il découvrirait dans le tome 2 qu’ils ne protégeaient pas leur royaume pour rien, mais pour une bonne raison !
10. Une guerre qui s’enlise, des belligérants qui s’affaiblissent
Pour rejoindre ce que j’ai déjà dit plus haut, imaginez que la guerre dure depuis des années. Les batailles s’accumulent, mais aucun des royaumes ne parvient à prendre l’avantage sur l’autre.
C’est là qu’intervient un troisième belligérant, dont les troupes ne sont pas épuisées par des années d’effort, et dont le matériel militaire vient d’être forgé.
Une guerre qui s’enlise, c’est un facteur de risque pour un royaume, mais également de lourdes, très lourdes dépenses. C’est bien pour cela qu’il faut y réfléchir à deux fois avant de déclarer une guerre.
Pour conclure, j’espère que cet article vous aura soufflé quelques idées auxquelles vous n’avez jamais songé, et on se retrouve pour la suite et le deuxième article, qui traitera des batailles.
Conclusion
Ce fut un long article. Il n’avait pas vocation à vous livrer tout ce à quoi il faut penser pour imaginer les guerres de vos romans, mais à vous donner des pistes de réflexion sur certaines choses auxquelles vous n’aviez peut-être pas pensé. Peut-être même que le lire vous a donné de nouvelles idées ; en tout cas je l’espère car ce serait le plus beau des cadeaux !
Le prochain article traitera des batailles. D’ici là, bonne écriture !